Question:
quelles critiques ont elles été adressées à la théorie de la connaissance d'Emmanuel Kant?
tex
2006-06-18 06:40:39 UTC
c'est au niveau de l'épistémologie de kant, sur sa théorie de la connaissance, quelles en sont les limites?
Un répondre:
Cidtheo
2006-06-18 16:00:09 UTC
La critique de la position kantienne vis-à-vis de la connaissance

La critique de la "Critique de la raison pure"



On peut résumer la critique de l'idéalisme critique de Kant de la manière suivante:



1) Kant méconnaît la connaissance comme modélisation d'une pratique objective expérimentale rationnelle: la pratique productive de phénomènes

reproductibles, rigoureusement mesurables par des instruments techniques et des techniques de mesure non-subjectifs; autrement dit il reste encore dans le cadre d'une problématique contemplative rationnelle et sensible de la connaissance; très éloignée de la pratique scientifique moderne qui connaît non ce qui est en soi mais ce qu'elle peut produire objectivement dans le réel et qui généralise les conditions de cette réalisation objective à la

production de tout phénomène naturel.



2) Kant méconnaît la condition du dialogue scientifique qui est la mise à l'épreuve des concepts et des théories construits par leur confrontation avec des faits produits et mesurés qui sont tout à la fois dépendants des théories et existent d'une manière objective et peuvent donc les réfuter. Pour Kant une théorie rationnelle semble toujours vraie dès lors qu'elle ordonne des

sensations s'inscrivant dans les formes transcendantales (a priori) de la subjectivité que sont l'espace et le temps de la théorie newtonnienne. Quid de la relativité et de la théorie quantique?



3) Il est difficile, voire impossible, dans le cadre de l'idéalisme critique de penser l'histoire des sciences, comme processus de production et de rectification des connaissances qui met en jeu un dialogue entre les scientifiques, sur fond de concurrence interthéorique plus ou moins tranchée par l'expérience objective. C'est pourquoi la démarche de la connaissance scientifique ne peut être que réaliste, en précisant que les connaissances produisent une connaissance objective de la réalité sans pour autant atteindre le réel en soi qui résiste toujours (et c'est par là qu'il est réel) à nos interprétations partielles qui concernent d'abord les artifices expérimentaux objectifs que nous produisons dans des conditions de maîtrise technique du

laboratoire. La connaissance est connaissance d'une pratique historique, et des conditions de cette pratique, elle est objective et donc réaliste en cela qu'elle produit des phénomènes indépendants des sujets sensibles et historiques de la connaissance.

Faut-il, dans ces conditions, abandonner la notion de « sujet transcendantal », comme sujet de la connaissance ?



À mon sens non, dès lors que l’expérience et son interprétation présupposent toujours une théorie préalable quitte à la transformer; mais il convient alors de ne pas confondre le sujet transcendantal avec un quelconque sujet transcendant l’histoire de la pensée et de la connaissance. Il n’y a pas de sujet de la connaissance transcendant, si ce n’est Dieu, s’il existe, mais le sujet transcendantal est collectif et social et non pas individuel (derrière Dieu cherchez le social !) et se construit dans le dialogue entre les sujets empiriques que sont les chercheurs et entre les théories et l’expérience objectivée et universalisable. On peut à ce propos se référer à K.Popper qui distinguait le monde objectif des idées produit par les sciences qu’il appelait le monde3, le monde2 du sujet individuel subjectif et le monde1, le réel physique transformé en réalité connue par le dialogue entre la théories et l’expérience pour admettre l’hypothèse que le sujet de la connaissance est le monde3 mis en oeuvre par le monde2, et non le monde2 seul. À cette condition Popper est en alors kantien.



S’il est juste de dire que la position de Kant intégrait la pratique expérimentale de son temps ; il est tout aussi juste d’ajouter qu’il ne pouvait et ne voulait pas la penser explicitement comme production historique pour la raison que son but était de penser la possibilité du sujet moral purement raisonnable, universel et ahistorique donc transcendant à partir et en le distinguant du sujet transcendantal de la connaissance dont la transcendance est radicalement compromise par l’usage nécessairement expérimental de la raison théorique ( ce sujet transcendant de la morale pure reste à mon sens problématique, mais c’est un autre débat). Kant, du reste, ne prend pas position sur la question de savoir si le sujet transcendantal des sciences est historique et social ou donné en toute éternité et individuel mais il fait comme s’il était donné et transcendant car cela lui apparaît aussi comme la condition pour sauver l’universalité de la connaissance scientifique, ce qui, selon moi, n’est pas la seule possible ; mais il conviendrait alors de l’établir sur fond d’une thèse réaliste, ce qu’il rejette pour une raison de métaphysique morale, voire religieuse (voir plus loin).

C’est à la lumière de l’histoire des sciences qu’il nous faut repenser la question du sujet transcendantal de la connaissance pour nous délivrer de la tentation de la considérer comme un sujet transcendant (comme chez Descartes où il est indissociable de l’existence de Dieu) contredite par l’histoire et la pratique des sciences.



Il est vain, dans ces conditions, de chercher dans « le critique de la raison pure » de Kant une conception de la pratique scientifique : il n’en avait ni les moyens, ni l’intention. De son propre aveu son but était de sauver la morale du naufrage de la métaphysique comme science : en limitant le pouvoir de la raison, il rendait légitime la croyance métaphysique dans le domaine pratique en la rendant incontestable. Lui demander plus c’est, comme il aime à le dit lui-même, « traire le bouc avec un tamis ».

Cela dit, il a rendu un immense service à l’histoire de la pensée et de la philosophie en toute théologie et/ ou métaphysique théorique dogmatique rationnelle et à eu le mérite de montrer que toute connaissance universelle est doublement relative ; à l’expérience et à ses conditions de possibilités (pures ou impures, peu importe ici) ainsi qu’à nos concepts et modèles formels a priori, qu’ils soient donnés ou construits (Kant ne se prononce pas nettement là-dessus car il n’en sait rien et pense, en cohérence avec sa critique de la métaphysique, qu’il ne peut rien en savoir). Reste à savoir si ce sauvetage de la métaphysique morale comme croyance (liberté, impératif catégorique, Dieu) tient la route en l’absence d’un fondement théorique suffisant est une question ouverte (voir sur mon site ma « Critique de la raison morale »)



Les conditions de la production des connaissances scientifiques



Ce qui doit être aujourd’hui notre tâche, c’est d’examiner les modes de production des connaissances scientifiques et d’en tirer non pas une théorie « de » la connaissance mais les présupposés régulateurs (donnés ou construits) « pour » le développement de la connaissance rationnelle, dans les domaines diversifiés des différentes sciences, dont la production n’est ni individuelle ni comtemplative, mais collective, historique et pragmatique. Et la question du solipsisme s’évanouit d’elle-même car il n’y a rien de moins solipsiste que la pratique scientifique.

La pratique scientifique est en effet indissociablement sociale, réaliste et pragmatique ; qu’est-ce à dire ?



1) Elle est sociale en cela qu’elle suppose une langue commune universellement compréhensible, c’est à dire rationnelle, des théorie et modèles de références historiquement produit que le sujet doit apprendre et dont il doit faire usage pour penser l’expérience, quitte à contribuer à leur refonte éventuelle. Historique car rien n’est donné au départ, même pas l’arithmétique de base et la géométrie euclidienne et que ces modèles et/ou théories formelles, rencontrant leurs limites en interne et en externe, sont progressivement intégrables dans d’autres plus larges.

2) Elle est pragmatique car une théorie expérimentale ne vaut que si elle est opératoire, c’est à dire si elle est capable de mettre en cohérence, d’anticiper et de prévoir un maximum de phénomènes objectivement déterminables possibles avec le minimum d’échec et cela dans un contexte de concurrence interthéorique permanente mettant en jeu l’ensemble des laboratoires scientifiques du domaine concerné.

3) Elle est réaliste en cela que les phénomènes expérimentaux sont, dans une réalité indépendante qu’est le laboratoire, produits artificiellement et objectivement mesurables, non par notre perception sensible, mais par des instruments techniques objectifs dont la fiabilité a été testée par la collectivité scientifique. Les théorie et modèles qui déterminent cette production phénoménale sont plus ou moins prudemment généralisés à tout phénomènes semblables observables : ce rapport d’assimilation entre phénomènes artificiels et phénomènes naturels est au cœur de la pratique scientifique : les sciences connaissent par des artifices que seule la collectivité peut valider dans la cadre d’un dialogue critique sévère entre les scientifiques indissociable de celui qui confronte les théories et les expériences. Est réaliste toute position qui favorise cette production de connaissance ordonnant la réalité objective des phénomènes expérimentaux dans des théories efficaces, tout savoir qui provoque des effets féconds et pragmatiques objectifs et universalisables de réalité.

Qu’est-ce que la réalité ? C’est ce que la connaissance grignote sur cette inconnu qui résiste toujours au delà de ce que l’on connaît déjà : le réel. C’est pourquoi il ne peut y avoir d’autre philosophie pour les sciences ou épistémologie qu’à partir de l’étude critique de l’histoire sociale des sciences et des conditions de production des connaissances scientifiques. Et cette étude ne nous contraint à aucun relativisme car ces connaissances restent objectives, c’est à dire, de par leur conditions de productions, ni sensibles, ni subjectives, ni solitaires : réalistes.

Comme on l’a fait dire à Galilée : « Et pourtant, elle tourne »...



La position de Kant doit donc, selon moi, être pour ces raisons dépassée (aufgehoben) c’est à dire conservée dans ce qu’elle apporte de positif (le criticisme anti-dogmatique) et supprimée dans ses limites historiques et idéologiques (l’idéalisme ahistorique). Il y a toujours deux lectures possibles des grands auteurs : celle qui organise leur culte en présentant leurs positions comme indépassables et celle qui en dégage le nécessité et les limites internes pour s’en affranchir ; l’une, déifiante, est morte et mortifère pour la pensée (le « penser par soi-même » cher à Kant), l’autre est amicale, vivante et vivifiante.



Article de Sylvain Reboul (daté de 1999)


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