PEUT-ON DÉSIRER SANS SOUFFRIR ?
Autrement dit : désirer fait souffrir.
Et cependant, si on pose la question, c’est qu’il se peut que non.
Alors comment est-ce possible ? Comment éviter principalement de passer du désir assouvi à l’ennui de posséder ? Qu’est-ce que souffrir ? Qu’est-ce que désir ? Quels rapports de l’un à l’autre ?
« Entre les désirs et leurs réalisations s'écoule toute la vie humaine. Le désir, par sa nature, est souffrance; la satisfaction engendre bien vite la satiété; le but était illusoire; la possession lui enlève son attrait; le désir renaît sous une forme nouvelle, et avec lui le besoin ; sinon, c'est le dégoût, le vide, l'ennui, ennemis plus rudes encore que le besoin. Quant le désir et la satisfaction se suivent à des intervalles qui ne sont ni trop longs, ni trop courts, la souffrance, résultat commun de l'un et de l'autre, descend à son minimum ; et c'est là la plus heureuse vie. » Arthur Schopenhauer
1. D’ABORD QUE DÉSIRE-T-ON ?
Par essence, de ce que l’on manque et ce qui manque fait souffrir par principe.
• Or, la vie sert à combler les manques, à pallier les déficiences… Alors cesse la souffrance. Dès qu'on possède, le désir ne manque plus, il ne désire plus ce qu'il a désiré avant.
• Seulement, dès qu’il a obtenu, le désir repart en chasse, il continue à manquer, il redevient toujours souffrance.
• Mais faut-il toujours tout obtenir ? (Stoïciens) Tout vouloir avoir ? Le risque n’est-il pas d’être rassasié et blasé ?
• Il convient donc de distinguer désir et besoin : le désir est une soif, un manque éprouvé qui ne saurait être pleinement rassasié, alors que le besoin est une faim naturelle qui attache à la nécessité.
2. ENSUITE QU’EST-CE QUE LE DÉSIR, COMMENT SE MANIFESTE-T-IL ?
• Le désir est la marque d’un manque. Le manque est la manifestation en creux d’une privation. Le désir est un manque éprouvé, insatiable car son essence est le non-avoir, mais quelle que soit la réalisation obtenue, le désir doit rebondir vers un autre objet. (Schopenhauer)
• Surtout il ne faut pas vouloir tout sur le même plan. (Et ce, en se gardant de souffrir de ne pas désirer.)
• Il importe de pas aller jusqu’à avoir mal de ne pas avoir ? Si le désir ne renaît pas, la vie perd tout son sel, on n'a plus de projet, le temps est vide, on s'ennuie et on se dégoûte de la vie que l'on mène. Le temps s'étire, les journées sont interminables et on finit pas dire: il faut tuer le temps!
• D’autant plus que dans le désir, il y a un plaisir éprouvé à désirer un objet dont on attend un grand plaisir.
3. SEULEMENT, COMMENT PEUT-ON NE PAS SOUFFRIR DE CE QU’ON DÉSIRE (QU’ON N’A PAS) ?
• En ne le désirant point ? Un tel désir est-il désirable ? On peut en tout cas désirer ce désir…
• En changeant le désir en espoir-espérance (Bergson). Il s'agit de mesurer le rythme des désirs et celui des plaisirs, de calculer un juste intervalle.
• En accédant à la gratuité permise par l’amour du beau-grand, par l’art par exemple. Pourquoi les moments de contemplation et de recherche désintéressée ne seraient-ils pas des moments moins heureux ?
• En faisant de ce que l’on désire la marque du vivant. Tant qu’on vit, on doit ne pas se satisfaire. Et cela n’est pas souffrir.
En conclusion, il faut apprendre à souffrir de ce qu’on doit avoir et dont on est privé véritablement, non de ce qu’on ne peut avoir et dont on n’a pas forcément besoin. Il faut désirer désirer, c’est un signe d’existence, tant mieux. Au même titre que souffrir, hélas. Mais ce qui définit vraiment la vie, c’est ne pas désirer souffrir.
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[Quant au désir et à la souffrance liés à l’amour, se souvenir que tomber amoureux, c’est prendre le risque d’être heureux ou malheureux. Mais est-ce que cela n’en vaut pas la peine ? Cf. Édith Piaf : "L’amour, ça sert à quoi ? À nous donner de la joie. Avec des larmes aux yeux, c’est triste et merveilleux... Sans amour dans la vie, sans ses joies, ses chagrins, on a vécu pour rien !" Aimer, c’est donc souffrir de désirer et désirer souffrir.]